L’Afrique fait le pari de l’«industrialisation verte»

Le dernier rapport de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) revient longuement sur les opportunités d’une « industrialisation verte » pour le continent. Le défi réside dans la transformation des modes de production et la création d’infrastructures pour sécuriser les approvisionnements en eau, énergie et produits alimentaires. 

On y apprend ainsi que la hausse du PIB est restée forte en Angola, malgré la baisse des prix du pétrole, le gouvernement ayant entrepris d’investir dans des secteurs stratégiques non pétroliers, tels que la technologie, l’électricité et la construction. 

Les plus fortes croissances se situent actuellement en Afrique australe, au Mozambique et en Zambie notamment ; de grands projets, comme le Roadmap for a Green Economy in Mozambique – fondé sur l’utilisation rationnelle, la fortification et la sauvegarde des écosystèmes du pays et de son capital naturel –, le Inclusive Green Growth Strategy ou encore les investissements hydroélectriques dans le bassin du Zambèze, avec la centrale de Bakoza, soutiennent ce développement ; il faut toutefois souligner qu’à l’heure actuelle ce sont aussi, et surtout, les investissements étrangers dans le secteur minier qui permettent l’essor de la région. 

PRIORITÉ A L’HUMAIN ET AU SOCIAL

L’accent mis sur le développement de secteurs stratégiques non pétroliers ou miniers, comme l’agriculture et la gestion de l’eau notamment, devraient permettre de réduire la dépendance à certains revenus pétroliers ou miniers, de développer de façon endogène les économies nationales, de créer des emplois et d’éviter le diktat des institutions financières internationales, comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, qui ont déjà investi le terrain de la « révolution verte » en Afrique. 

L’industrialisation, en plus d’être une source d’emplois verts, devrait permettre aux États d’accroître leurs investissements dans des secteurs sociaux essentiels pour le renforcement du capital humain, en mettant par exemple à la disposition des femmes des compétences et des technologies favorisant le développement durable. 

Il s’agit de privilégier une approche holistique des problèmes environnementaux et de l’efficacité énergétique, en faisant émerger des modes de consommation et des transports urbains durables, des technologies encourageant la connaissance et l’innovation collectives ainsi qu’une gouvernance souple. La mise en place d’une planification urbaine et d’infrastructures respectueuses de l’environnement dans l’optique des « villes intelligentes » représente un autre axe de développement essentiel. 

Au Kenya, dans le village de Wote, les paysans développent des espèces mieux adaptées au changement climatique. Climate Change, Agriculture and Food Security/Flickr

L’AGRICULTURE AU PREMIER PLAN

L’Afrique contribuant peu à la dégradation de l’environnement et étant très vulnérable aux aléas environnementaux et climatiques, la stratégie d’une « industrialisation verte » a pour objectif de maintenir la faible part africaine aux émissions de gaz à effet de serre et d’anticiper les conséquences des bouleversements climatiques et les famines. 

Le secteur agricole constitue l’un des piliers de cette « industrialisation verte ». Ainsi, il demeure indispensable de rendre effectif le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), de stimuler le commerce intra-africain des services et produits agricoles, d’infléchir la résilience des moyens de subsistance et des systèmes de production face aux changements climatiques et autres risques connexes. Comme le rappelait la présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma, lors du 23e sommet de l’UA à Malabo (Guinée équatoriale) en 2014 : 

« Il est temps pour les chefs d’État de placer l’agriculture au premier plan des priorités nationales en matière de développement et d’ouvrir la voie afin d’offrir à leurs peuples un développement assuré. La prospérité est à portée de main – elle est entre nos mains. »

QUATRE PISTES A EXPLORER

Pour faire de l’« industrialisation verte » une réalité en Afrique, plusieurs axes de développement sont à explorer. La CEA en identifie quatre principaux : la modification des avantages de prix, l’inclusion de normes environnementales dans la réglementation nationale, le « verdissement » de l’infrastructure publique et la réduction de l’intensité en ressources de la croissance économique (un processus appelé « découplage »). 

  • Le changement des avantages de prix a pour but d’opérer un abandon graduel des subventions aux sources d’énergie fossiles. En effet, les taux de croissance économiques des États africains sont principalement liés aux prix des matières premières et donc des combustibles fossiles. On soulignera à ce propos la réforme des subventions aux carburants en Namibie et aussi au Kenya par la promotion des transports publics notamment.
  • L’idée d’inclusion des règles environnementales dans la réglementation nationale a pour finalité de prévenir et de lutter contre les dégâts environnementaux issus des activités de production.
    Le continent constitue un cas pathologique « d’incidents environnementaux » comme l’illustrent la pollution causée par Shell dans le delta du Niger en 2008 par des fuites d’un pipeline qui a ruiné l’activité économique des villages environnants ; les 500 tonnes de résidus toxiques répandues aux alentours d’Abidjan, en août 2006 par la multinationale Trafigura, ayant causé l’intoxication des populations locales et la mort de 17 personnes ; ou encore le déversement de milliers de litres de pétrole par la filiale du China National Petroleum Company (CNCP), à Koudalwa au Tchad, en août 2013.
    Ces pays ont mis en place des règlementations nationales de protection de l’environnement, mais leur application pose des problèmes dus à un manque de moyens humains et économiques. 
  • Le principe du « verdissement » de l’infrastructure publique concerne l’équipement en infrastructure verte et l’occasion pour le continent de « sauter des étapes » dans le processus d’industrialisation, à l’instar des propositions de Jeremy Rifkin concernant « la troisième révolution industrielle ». Ce principe se manifeste au niveau du programme sud-africain de travaux publics ou encore par la mise en place, dès 2004 par la ville de Durban d’un programme municipal de protection environnementale.

Vidéo : Jeremy Rifkin à propos de la «3ᵉ révolution industrielle» (vidéo Europe1, septembre 2014). 

 

On retrouve aussi des amorces de cette stratégie en Tanzanie et au Zimbabwe avec les « centres nationaux de production propre » ; en Ouganda avec l’industrie du cuir ; au Ghana, avec la chaîne de valeur du bois ; en Côte d’Ivoire et au Nigéria avec l’agro-industrie. 

  • Enfin, le processus de « découplage » s’illustre par la réduction de l’emploi d’intrants environnementaux dans la production et la diminution des émissions et déversements de polluants nocifs. Il se matérialise par la mise en œuvre des centrales hydroélectriques d’Inga III en République démocratique du Congo, de Mphanda Nkuwa au Mozambique ou de Sambagalou au Sénégal ; le Malawi mise sur le biocarburant, le Maroc et le Rwanda sur l’énergie solaire, le Kenya sur l’énergie géothermique ; l’Angola, le Bostwana et la Namibie exploitent le bassin hydrographique transfrontière du Cubangookavango, Maurice a choisi l’écologisation de la chaîne maritime ; en Afrique du Sud, les efforts se concentrent sur une gestion de l’eau et une exploitation minière durables ; on peut enfin citer le parc éco-industriel éthiopien de Hawassa.

Le dessein d’une « industrialisation verte » peut constituer un socle de la « renaissance africaine » et même offrir la chance d’une consolidation d’une idéologie politique africaine, le fédéralisme. La mise en commun de projets – hydroélectriques, routiers, villes « intelligentes »… – illustrant les premières réalisations concrètes de la future fédération. 

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