Dans le contexte mondial actuel, l’Afrique occupe une place cruciale, tant par la richesse de ses cultures que par son histoire complexe et ses sociétés dynamiques. Penser l’Afrique, c’est reconnaître son rôle central dans l’élaboration d’un avenir global partagé, où les leçons tirées de ses expériences historiques, de ses réussites économiques et de ses défis sociopolitiques contribuent à façonner des solutions innovantes aux problèmes mondiaux. C’est aussi valoriser la diversité de ses cultures, qui enrichissent le patrimoine mondial et offrent des perspectives uniques sur la créativité, la résilience et l’interdépendance humaine. En somme, intégrer l’Afrique dans nos réflexions, c’est s’ouvrir à un continent qui est non seulement un acteur clé du présent, mais aussi un vecteur essentiel de progrès et d’inspiration pour l’avenir.
Nous proposons « Question Africaine » comme un lieu d’expression pour tous ceux qui, sur le terrain comme depuis les bibliothèques ou les archives, considèrent l’Afrique comme un territoire légitime de la culture humaine, susceptible d’enrichir celle-ci sur un plan général. Affirmer cela, c’est rappeler aussitôt qu’il s’agit d’un projet ouvert à toutes les approches transversales, où les sciences formelles, naturelles, sociales, ainsi que les arts et les lettres peuvent enrichir la réflexion. La culture, selon Aimé Césaire, c’est l’ensemble des valeurs matérielles et spirituelles créées par une société au cours de son histoire. Par valeurs, précise-t-il, il faut comprendre des éléments aussi divers que la technique ou les institutions politiques, une chose aussi fondamentale que la langue et une chose aussi fugace que la mode, et les arts aussi bien que la science ou que la religion. En termes de finalité, et présentée dans son dynamisme, la culture, c’est l’effort de toute collectivité humaine pour se doter de la richesse d’une personnalité.
En 2020, 100 intellectuels africains ont co-signé une lettre ouverte aux dirigeants africains. Ils alertent sur un ordre mondial qui se désagrège sous nos yeux, laissant place à une lutte géopolitique vicieuse. Dans ce nouveau contexte de guerre économique de tous contre tous, les pays africains peinent à s’affirmer et on leur rappelle encore une fois leur statut pérenne dans cet ordre mondial en devenir : celui de spectateurs dociles. D’une voix commune, ces personnalités ont attiré notre attention sur la nécessité de repenser la base de notre destin commun à partir de notre propre contexte historique et social spécifique et des ressources dont nous disposons.
Ce que l’on désignait autrefois du terme harmonieux de concert des nations s’est avéré être le résultat de conciliables limités aux membres d’un même club. Là s’élaborent, se prennent des décisions engageants le destin de la planète entière. Seul une note manque au concert : la note africaine. Le continent africain doit développer, lui aussi, autour des problèmes majeurs de notre temps ses variations propres, ses mélodies du terroir. Ce n’est qu’a cette condition que le cycle aura été bouclé et l’orchestre complet.
La jeunesse africaine s’interroge. Elle aimerait par exemple qu’on lui explique comment la mondialisation peut marginaliser l’Afrique alors que les richesses de l’Afrique sont nécessaires à la mondialisation. Comment les pays émergeants d’Asie, qui étaient aussi sous-développés que les pays africains il y a quelques décennies et ayants été plongés dans la même mondialisation, en ont tiré parti alors que l’Afrique ne l’a pas fait. La jeunesse semble partagée entre le pessimisme suscité par une «génération perdue», et la fascination pour une jeunesse fougueuse et créative qui s’attacherait à «redresser les maux de la société contemporaine». Ces jeunes de la «génération des plans d’ajustement structurels» sont pris dans un paradoxe: ils se heurtent à un manque évident d’opportunités, néanmoins ils représentent l’avenir.
Faire parler l’Afrique, laisser s’exprimer les valeurs les plus liées à sa foi en elle-même, voilà l’objectif de cette plateforme. La résistance qui s’oppose à la diffusion du message africain s’explique : habituées à donner, les grandes puissances n’ont pas encore pris l’habitude de recevoir. Mais l’Afrique a besoin de donner. Et pour se faire entendre, elle a pour problème majeur de construire l’autorité de sa propre expérience de la vie. Elle a deux raisons, au moins, de le faire. D’une part, pour se voir et s’apprécier elle-même à la lumière de la science et de la technologie modernes. Et d’autre part, pour se faire connaître et apprécier telle qu’elle se voit et se veut. Dans toutes les disciplines de la culture, on peut constater l’absence d’une autorité africaine. En science politique, les concepts occidentaux sont unilatéralement imposés aux pays africains et nos lois sont des «copies conformes» des normes occidentales. En économie, la bataille fait rage pour restaurer et renforcer la direction africaine. Dans l’industrie du cinéma, des obstacles financiers s’opposent à l’intervention du génie africain, etc.
Ce projet traduit la volonté de jeunes africains d’enseigner au monde quelque chose des institutions et des sentiments intimes de leurs peuples, faire sentir à leurs frères et sœurs la force de leur nature d’africains, et les faire sympathiser avec leurs aspirations d’africains. L’enjeu principal, c’est la restauration de la liberté intellectuelle et de la capacité de créer. C’est rompre avec l’externalisation des prérogatives souveraines, renouer avec les configurations locales, adapter la science, la technologie et la recherche au contexte africain. Il manque encore à l’Afrique cette assurance dans l’affirmation de ses vertus les plus spécifiques, sans souci de l’approbation de l’autre. Dès lors, il est important d’aider particulièrement la jeunesse à prendre cette conscience de soi et cette confiance en soi qui lui manquent. C’est à cette condition seulement qu’elle sera le mieux écoutée. De nombreuses campagnes doivent être menées pour l’épanouissement des libertés humaines au rang desquelles figure en bonne place la liberté d’apprendre, de savoir et de s’exprimer.
Il ne s’agit pas d’une entreprise politique. Nombre d’articles vont être présentés sur les sujets les plus variés. Aucun n’abordera le problème sous son aspect proprement politique. Mais si l’on pense que la civilisation est avant tout un phénomène social et la résultante des faits sociaux et de forces sociales, alors les réponses aux questions qui se posent, qu’on le veuille ou non, ne s’auraient s’énoncer autrement que dans un ensemble de données politiques. Aujourd’hui, les séquelles du colonialisme sont encore plus dures que le colonialisme lui-même. L’Afrique n’est toujours pas arrivée à se libérer moralement, intellectuellement et spirituellement du colonialisme. En effet, un régime politique et social qui supprime l’autodétermination d’un peuple, tue en même temps la puissance créatrice de ce peuple. Partout où il y a eu colonisation, des peuples entiers ont été vidés de leur culture. Il appartient alors à la culture, pour le salut et l’équilibre des peuples, d’inspirer la politique, de la penser et de l’animer.
Tout peuple, au cours de de son évolution accumule un patrimoine culturel dont il tire la raison de sa fierté et de ses espoirs. A partir de la connaissance de notre passé, il devient possible d’établir la contribution africaine au progrès du monde et de penser la place qu’occupera le continent dans le progrès à venir. Avant l’accession des États africains à l’indépendance, il était contraire à toute logique coloniale d’entretenir le souvenir de ce patrimoine culturel. Alors l’histoire africaine fut falsifiée, les noms de nos chefs, nos héros, furent arrachés à notre souvenir affectueux, toute attitude noble fut avilie, et l’histoire des pays africains fut édifiée par décrets. Nos œuvres d’arts furent arrachées à la vie pour garnir les musées d’Europe. Cela justifie considérablement l’effort qui doit être fourni pour redécouvrir l’histoire générale de l’Afrique.
Notre perception de la culture est fondamentalement liée à l’émergence d’un Etat multinational embrassant la quasi-totalité du continent. Nous avons des nations artificielles qui ont été découpées à la Conférence de Berlin et nous luttons pour faire de ces nations des unités stables de la société humaine. L’État-nation africain doit servir d’instrument d’unification de l’Afrique. Le nationalisme africain, comme le disait Julius Nyerere, est dépourvu de sens et dangereux s’il n’est pas en même temps le Panafricanisme. La culture est la substance intime à partir de laquelle doit s’élaborer la pensée politique des africains. Lorsque les africains auront créé un État souverain continental et multinational, il faudra le doter d’une superstructure idéologique et culturelle qui sera un de ses remparts essentiels de sécurité. Il est donc indispensable de préparer les ressources susceptibles d’aider la jeunesse à amplifier et défendre le style de vie africain face au déséquilibre moderne; susceptibles de réduire les rapports entre l’impuissance de leur continent et la crise d’un monde suréquipé et menaçant.
Les défis sont multiples, d’autant plus que l’Afrique est aussi hors d’Afrique, qu’elle est socialement et culturellement aux portes de Paris, de Bruxelles, de Washington. Le développement de l’Afrique n’est pas seulement l’affaire des «élites», mais doit être prévu et pensé par tous les peuples d’Afrique et de la diaspora. Il faudrait pour cela se pencher de très près sur les problèmes de l’instruction, de l’éducation, de la formation professionnelle, qui fournissent la base nationale de la culture, y compris dans le domaine des arts. Il faudra examiner les conditions du travail. Il faudra encore bien de choses… Mais l’essentiel est de commencer.
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