L’économie bleue est au coeur de la mondialisation: 90 % des échanges commerciaux entre les États s’effectuent par voie maritime et 95 % des communications mondiales s’opèrent par des réseaux sous-marins. L’économie bleue regroupe toutes les activités économiques menées dans les fleuves, les lacs, les berges, les rivages, les cours d’eau, les nappes souterraines, les eaux douces, les fonds marins, les mers, les océans etc.
Mais l’économie bleue, comme le souligne Günter Pauli, renvoie aussi aux modèles de production des écosystèmes et de la résilience. Elle est ainsi axée sur l’entreprenariat social, favorisant un développement soucieux de l’environnement par la restriction des pertes et des émissions de carbone, les productions à faible coût favorisant emploi et croissance durables ; l’économie bleue se concrétise principalement avec l’aquaculture, la mariculture, les activités portuaires, l’écotourisme côtier, l’énergie bleue, les bioproduits marins ou encore la biotechnologie.
Domaine largement méconnu, ignoré ou sous-exploité, l’économie bleue peut être un robuste levier de développement pour le continent africain. L’Union africaine (UA) n’a pas manqué d’identifier cette opportunité : dans son Agenda 2063, elle la classe dans les « objectifs et domaines prioritaires des dix prochaines années », pointant l’exploitation de son vaste potentiel comme la première aspiration d’une « Afrique prospère ». La Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) s’associe à cette vision, puisqu’elle voit dans l’économie bleue, tout comme le vice-président des Seychelles, Danny Faure, « l’avenir de l’Afrique ». L’économie bleue pourrait devenir un véritable « or bleu ».
Mais que représente-t-elle aujourd’hui en Afrique ? Profite-t-elle aux économies du continent ?
Retour de pêche à Nouakchott, en Mauritanie. Michał Huniewicz/Flickr, CC BY
UNE IMPORTANCE STRATÉGIQUE
La dimension stratégique de l’économie bleue est une évidence pour l’Afrique. C’est d’ailleurs ce qui a poussé la CEA a publié en mars 2016 un « guide pratique » sur le sujet qui s’inscrit dans la lignée de l’Agenda 2063 de l’UA.
On y apprend que sur les 54 États africains, 38 sont des pays côtiers et que plus de 90 % des exportations et importations africaines passent par la mer. Les eaux territoriales sous juridiction des États africains se déploient sur 13 millions de km² avec un plateau continental d’environ 6,5 millions de km² comprenant des zones économiques exclusives (ZEE).
Il existe ainsi « autre Afrique sous la mer » pour reprendre l’expression de Carlos Lopes, et l’économie bleue devrait permettre selon l’UA d’établir une « nouvelle frontière de la renaissance de l’Afrique ».
S’il subsiste encore entre les États des problèmes relatifs à la délimitation et à la démarcation des frontières maritimes, le secteur d’activité de la pêche emploie près de 12,3 millions d’Africains avec des perspectives qui se comptabilisent en milliards concernant la valeur des pêches locales.
Le potentiel de l’économie bleue peut résorber la question nutritionnelle et la sécurité alimentaire de près de 200 millions d’Africains par « l’apport vital » des poissons de mer et d’eau douce considérablement sous-exploités. Avec une approche endogène, holistique et collaborative, l’on peut établir les fondements d’une « politique de développement bleu » qui associerait le changement climatique et un développement durable. Le continent bénéficie ainsi de gigantesques ressources maritimes et océaniques. Toutefois, nombre d’acteurs extérieurs menacent cette politique de développement.
LA MENACE DE LA PÊCHE ILLÉGALE
Si des phénomènes naturels (comme l’augmentation du niveau des mers ou les ouragans) et humains (de la piraterie aux trafics d’armes et d’êtres humains) entravent les activités économiques bleues, l’une des menaces les plus importantes provient de la pêche illégale.
Se basant sur les flux financiers entrant et sortant d’Afrique, la CEA établit que, chaque année, l’Afrique perd 42 milliards de dollars en combinant notamment les revenus tirés de la pêche illégale et de l’exploitation clandestine de la forêt.
Le « pillage industriel de l’économie bleue » africaine par des navires européens, asiatiques et russes est une réalité. En Afrique de l’Ouest, la perte économique est estimée entre 800 millions et 1,6 milliard de dollars par an.
La pêche illicite, non déclarée et non règlementée, est à l’origine de la paupérisation de la population et des mouvements de déplacements vers d’autres pays. Cette situation s’explique pour Jean-François Akandji-Kombé par le fait que :
« [considérer] la mer comme un territoire économique est une nouveauté en Afrique. Parce que l’Afrique n’ayant pas eu, pendant très longtemps, les moyens d’exploiter la mer, les moyens d’abord de pouvoir politiquement dominer la mer, les États et peuples africains n’étaient pas des États, des peuples de la mer. Ils n’étaient pas tournés vers la mer, ils étaient plutôt tournés vers la terre. »
L’UE a passé des accords avec certains pays du continent pour limiter la pêche illégale (vidéo Africanews, mai 2016).
L’Union européenne, ayant pris conscience de l’impact du pillage européen organisé des ressources halieutiques africaines et de ses conséquences politiques futures, s’efforce depuis quelques années de passer des accords de partenariat de pêche. Ce fut notamment le cas avec le Cap-Vert, les Comores, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Libéria, Madagascar, la Mauritanie, le Maroc, le Mozambique, Sao Tomé-et-Principe, le Sénégal et les Seychelles.
Le gouvernement chinois se distingue ici par son cynisme : partie prenante du pillage des ressources marines africaines, La Chine s’est vu réclamer par 24 États africains l’arrêt de la pêche illégale en Afrique de l’Ouest en décembre 2015 à Yaoundé.
Il apparaît ainsi essentiel pour les États africains d’élaborer des cadres stratégiques afin que leurs populations puissent réellement bénéficier de cette manne.
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